Témoignage de Thierry Prungnaud, gendarme du GIGN

France Culture 22 avril 2005, journaux de 8 heures, 13 heures et 18 heures, extraits de l’interview de Thierry Prungnaud par Laure de Vulpian. (Les commentaires de contexte de Laure de Vulpian ont été résumés) (Publié dans Billet d'Afrique et d'ailleurs N° 136 de mai 2005)



Thierry Prungnaud, du GIGN, s'occupait en 1992 au Rwanda de la formation du GISGP, Groupement d'intervention et de sécurité de la Garde Présidentielle, calqué sur le GIGN français.

T.P. (Thierry Prungnaud) :

On a recruté cent cinquante militaires et gendarmes qui ont été testés physiquement et on en a recruté trente qu’on a formés quatre mois.

L.V. (Laure de Vulpian) : A quoi servaient ces gardes présidentiels ?

Principalement à la sécurité du président et son accompagnement dans tous les voyages officiels à droite à gauche dans le pays et à l’étranger.

Laure de Vulpian rappelle le contexte du Rwanda en 1992, le retour des exilés tutsi depuis 1990. Elle raconte qu’à posteriori, Thierry Prungnaud constate qu’il lui-même formé les tueurs de la garde présidentiels.

T.P. :

Malheureusement oui. Mais bon j’ai fait mon boulot de militaire comme on me l’a demandé. Et sans savoir ce qui allait se passer après forcément. J’ai eu des renseignements comme quoi les gars que j’avais formés avaient effectivement participé aux massacres. Ça, ça fait drôle. Oui.

L.V. :

Est-ce que cette garde présidentielle était comme un escadron de la mort finalement au moment du génocide ?

T.P. :

Oui, oui, parce qu’ils étaient entraïnés, mais vraiment bien entraïnés et je pense qu’ils ont du massacrer un maximum de personnes. Oui. Ils étaient craints d’ailleurs. La Garde présidentielles, le groupe d’intervention principalement était très craint parce qu’ils avaient été entraînés par les Français et bien entraïnés. Les gens savaient exactement de quoi ils étaient capables.



Plusieurs mois après son retour en France, Thierry Prungnaud est convoqué pour un debriefing.



T.P.:

Un général m’a demandé ce que j’avais vu, ce que j’avais fait, ce qu’on avait fait, et lorsque je lui ai dit que j’avais récupéré une liste d’une cinquantaine de noms de notables et autres qui avaient participé ou organisé des massacres, il m’a dit : ”Ecoutez vous oubliez tout, vous ne vous rappelez de rien”, voilà.

L.V. :

Ça voulait dire quoi ?

T.P. :

Il fallait que je ferme ma gueule, quoi, un général du ministère de la défense. Et il m’a bien précisé que je devais tout oublier.

Au cours des formations de la Garde présidentielle qu’il a faites il a été témoin de l’entrainement de milices civiles par d’autres français

Il y a des formations qui avaient également été faites sur des mercenaires civils à l'occasion d'entraînements que j'effectuais avec mes stagiaires où j'ai vu des militaires français former des civils miliciens rwandais en 1992 au tir. Bon ça c'est fait plusieurs fois, mais la seule fois où je les ai vus, il y avait peut être une trentaine de miliciens qui étaient formés au tir dans le parc de l'Akagera.

L.V.:

C'est un endroit assez isolé...

T.P. :

Effectivement oui, qui était même interdit d'ailleurs, parce qu'il était piègé. C'est un endroit qui était interdit aux touristes et aux militaires.

L.V. :

La, vous êtes formel. Des français formaient des miliciens en 1992 ?

T.P. :

Je suis formel oui. Catégorique !

L.V. :

Vous l'avez vu de vos yeux vu et vous n'avez pas d'autres preuves que ça.

T.P. :

Non. Je les ai vus c'est tout. Je ne peux pas en dire plus.

L.V.:

Les milices existaient déjà ?

T.P. :

Apparemment puisque c'étaient des civils qui étaient formés. Donc c'étaient forcément des miliciens. Les militaires sont tous en treillis la-bas. C'étaient des civils.

L.V.:

Ces militaires français, c'étaient qui ? De quelles armes ?

T.P. :

Je pense que c'étaient des gens du 1° RPIMA puisque c'était l'unité qui était là-bas. Donc c'étaient eux qui les formaient.

L.V.:

Ça, la France l'a toujours nié.

T.P. :

Bien sûr. Comme beaucoup de choses d'ailleurs. Mais bon, moi j'affirme c'étaient des militaires français qui ont formé des miliciens rwandais.

L.V. :

Et ça c'est prolongé, vous pensez ?

T.P. :

Je pense oui. Je pense, je ne me suis pas penché sur la question en 1992 puisque j'étais pas du tout au courant de ce qui se tramait dans le pays. Moi, j'étais là pour une formation. Je pense que ça a du durer, durer peut être jusqu'en 1994. Je ne sais pas probablement.

L.V.:

Ça vous a choqué sur le moment quand vous avez vu ça ou pas ?

T.P. :

Pas du tout, non, je voyais des militaires français qui formaient des civils - C'est bien ils leur apprennent à tirer - Je ne savais pas du tout la finalité du truc. Donc ça me paraissait normal.

En 1994, l’adjudant chef Thierry Prungnaud revient au Rwanda au sein de l’opération Turquoise. Il fait partie des COS, Commandement des opérations spéciales.

T.P. :

La mission au départ c’était d’intervenir sur des massacres soi-disant de Hutu qui seraient massacrés par des Tutsi et rendus sur place on s’est rendu compte au bout d’une quinzaine de jours que ce n’était pas du tout ça, que c’était complètement l’inverse, que c’était les Hutu qui zigouillaient les Tutsi.

L.V. :

Qui vous avait donné cette formation de base ?

T.P. :

Bon, la formation de base venait de la France en fait, de mon patron, mais bon je pense qu’il ne savait pas du tout ce qui se passait en Afrique. Maintenant au niveau gouvernemental, je ne sais pas. Je ne sais pas du tout.

L.V. :

Vous, vous pensez que le commandant Favier ne savait pas ?

T.P. :

Lui, il ne savait pas non, il savait qu’il y avait un génocide, mais il était comme nous, il pensait que c’était un génocide perpétré par les Tutsi sur les Hutu, comme nous, mais en fait c’était pas ça.

L.V. :

Curieuse inversion de la réalité.



Suit un rappel du contexte de lancement de l’opération Turquoise. Prungnaud et son groupe s’installent à Kaduha. Que faisait-ils à ce moment là ?



T.P. :

On regardait, on voyait les gens tous les soirs qui se tiraient dessus, on disait bon tiens c’est les Tutsi qui zigouillent les Hutu. On avait ordre de ne pas bouger, de ne rien faire, surtout pas bourger, de rien faire.

L.V. :

Alors donc au bout de quinze jours qu’est-ce qui se passe ?

T.P. :

Alors tous les jours on partait avec différentes unités. En l’occurence c’était le 13 ème RDP. On allait interviewer les gens à droite et à gauche et les gens nous parlaient d’une vallée, Bisesero, où il y aurait des rebelles tutsi armés jusqu’aux dents. Puis un jour on a désobéi.

L.V. :

Pourquoi, c’était quoi les ordres ?

T.P. :

Les ordres de notre propre chef, c’était de ne surtout pas aller la-bas.

L.V. :

C’était qui votre chef ?

T.P. : Le Commandant Marin-Gillier. Il nous avait interdit absolument d’aller la-bas. Et nous on a décidé d’y aller.

L.V. :

Qui ?

Et bien les copains du 13 ème RDP. Je ne vais pas citer de noms. On s’est concertés et on s’est dit demain on va à Bisesero. Et c’est là qu’on a découvert le pot aux roses En fait. c’est une vallée où 10 000 victimes avaient été tuées. Il en restait 800 dans un état lamentable qu’on a évacués par hélicoptères à l’antenne médicale de Goma. C’était lamentable, lamentable. La on s’est rendu compte qu’en fait c’était pas du tout les Tutsi qui tuaient les Hutu, c’étaient les Hutu qui tuaient les Tutsi, qui les massacraient carrément, massacraient tous les jours, tous les jours, tous les jours.

L.V. :

Ils étaient armés ?

T.P. :

Les Tutsi ? pas du tout ils avaient de pauvres sagaies, ils avaient des cailloux, voilà. Par contre les autres en face ils avaient ce qu’ils voulaient. Ils avaient explosifs, munitions, grenades, enfin la totale.

L.V. :

Alors une fois que vous découvrez ça, qu’est-ce que vous faites ?

T.P. :

La, on a rendu compte au patron du COS, le colonel Rozier. Il est venu immédiatement. Il s’est rendu compte de la situation. On a posté différents personnels tout le tour pour protéger les gens parce que les miliciens s’étaient postés au dessus dans les collines pour continuer le travail, pour continuer à les zigouiller et on a passé la nuit avec eux pour les protéger. Et le lendemain on a passé le bébé au 6 éme REG qui est venu nous remplacer et on est reparti après pour d’autres missions humanitaires et ainsi de suite.